Au printemps dernier, le Musée national des beaux-arts du Québec a organisé un concours multidisciplinaire pour concevoir le futur Espace Riopelle, un pavillon dédié à l’œuvre de Jean Paul Riopelle, intégré dans le complexe architectural existant. La création du nouveau bâtiment visait à propulser le MNBAQ vers l’avenir, en créant un véritable carrefour, un lieu de convergence au sein de son campus muséal. Il devait renouveler complètement l’expérience muséale, magnifier les lieux en plaçant l’être humain au centre de cette nouvelle aventure, dans un espace propice aux rencontres, et accroître l’accessibilité à la collection nationale.
« Je ne prends pas de la nature, je vais vers la nature. » – Riopelle était un homme de mouvement qui inventait et réinventait constamment son langage formel. Le pavillon Riopelle doit, selon nous, être en harmonie avec l’énergie et l’audace de cet immense artiste. Les courbes de Bézier sont des courbes polynomiales paramétriques développées pour concevoir des pièces de carrosserie automobile au tournant des années 1960 pour Citroën et Renault. Connaissant l’amour de Riopelle pour les belles voitures, ce détail devient une source d’inspiration.
Ces courbes sont présentes dans certaines peintures, en tant que signes et codes racontant, sous forme symbolique, des épisodes de la vie de l’artiste. Les courbes de Bézier sont une source d’inspiration pour la volumétrie du bâtiment à construire. Elles créent un dialogue en contraste avec les pavillons existants, qui sont organisés selon des schémas architecturaux classiques. La forme participe au caractère hétérogène de l’ensemble et garantit une signature architecturale forte, distinctive et identitaire.
Le projet propose une montée paysagère qui invite, depuis la place centrale, à monter sur les toits pour atteindre un point de vue unique permettant de saisir, en toute saison, l’immensité et la puissance du site. Un chemin linéaire rappelant le langage du rivage, un lieu d’échouage en bordure de rivière composé de sable, de gravier, de bois flotté et de champs herbeux. L’accessibilité de cette terrasse sur le toit assure le renouvellement du public et permet au bâtiment de s’engager généreusement avec la communauté.
« Il achète de Matisse, Le Serica. Matisse lui transmet l’amour de la voile, et des voitures de luxe, qui deviennent une sorte de refuge pour Riopelle. » – Comme une grande voile de bateau ondulant sur la rivière, le projet prend une enveloppe légère, diffuse et mystérieuse. Servant de filtre, de protection solaire et de contrôle énergétique, le revêtement est une métaphore des longs tableaux de l’artiste, évoquant l’œuvre multicouche de Riopelle. Il se compose d’un mur performant, constitué en partie de panneaux d’acier isolés et de murs-rideaux, l’ensemble étant revêtu d’un voile en membrane PTFE (Teflon haute résistance) tendu sur une structure en aluminium.
Le résultat est une double peau dont la performance énergétique permettra la récupération de chaleur et contribuera à atteindre le niveau LEED souhaité. L’espace entre les deux parois de la double peau est dimensionné pour permettre le passage d’un travailleur. Cet espace facilite l’entretien des composants et structures du mur, le nettoyage des vitrages et l’entretien des luminaires intégrés utilisés pour illuminer l’objet architectural la nuit. Cette architecture-textile n’est pas sans évoquer l’architecture nomade autochtone lors des périodes de chasse et de pêche. La légèreté suggérée apporte une notion de mouvement et de migration, exprimée de manière contemporaine. Le jeu de câbles qui maintient la toile tendue en place fait également écho aux “Jeux de ficelles” inuits, Ajaraq, chers à Riopelle.
Une forme qui embrasse et fait écho au rond-point de l’avenue. Un volume qui accueille et établit des relations avec les sentiers courbes du parc des Champs-de-Bataille. Un bâtiment-signal qui dialogue avec le monument Wolfe. Une matérialité suggérant un déroulement de toile, une voile appelant au voyage et à l’aventure.
La nouvelle structure offre une grande fenestration favorisant les salutations ainsi qu’une transparence vers la rivière depuis l’axe de l’avenue Wolfe-Montcalm. Le volume flotte au-dessus du vieux pavillon et déstabilise le visiteur. La géométrie circulaire suggère le rassemblement et la rencontre comme une étreinte réconfortante.
L’esplanade est partiellement couverte pour protéger les visiteurs des intempéries et permettre la tenue d’activités. Le dessous en bois rappelle la coque d’un navire à sec. Un gradin herbeux offre un lieu de rassemblement en groupe tout en offrant un contact avec la nature accueillante.
La découverte des œuvres de l’artiste se déroule dans une série d’espaces muséaux courbés, intimement disposés par rapport à la rivière et au parc. Ce parcours commence depuis le hall principal et dessine un grand mouvement circulaire investissant l’ensemble du projet architectural pour former une boucle. Il ramène le visiteur à son point de départ en lui faisant découvrir les œuvres de l’artiste.
Le hall principal, repositionné pour inclure l’extrémité des tunnels des bâtiments Baillairgé et Lassonde, devient le nouveau carrefour de toutes les circulations. Il réunit les entrées avant et arrière du musée, redéfinissant le début de l’itinéraire du musée, et en particulier la nouvelle expérience Riopelle.
Dès que le visiteur sort des tunnels qui émergent des autres pavillons, il est attiré dans un espace commun du hall principal. Cet espace initie le voyage vers le Carrefour Riopelle, une montée vers un univers artistique combinant intimement architecture, rencontres et immersion dans le paysage.
Cet espace, marqué par des gradins en rapport avec le café, favorise la cohabitation de la clientèle. Disposé sur différents niveaux, il établit un sentiment de reconnaissance et d’éducation sur la carrière de l’artiste.
À travers la montée, le paysage se révèle et établit un dialogue progressif, amplifiant le lien direct entre la nature et la rivière. La visite se termine avec l’escalier magistral ramenant le visiteur au hall principal tout en offrant des visites alternatives aux autres pavillons.
Le Carrefour Riopelle relie la salle Revendiquer au niveau supérieur. Cette salle assure un lien continu dans l’itinéraire en donnant accès à la salle d’exposition de référence. La salle immense est le point culminant de l’œuvre principale de l’artiste, avec sa flexibilité et ses murs droits permettant une présentation muséologique efficace. Équipée d’une enveloppe architecturale assurant une gestion efficace de la lumière et un contrôle des conditions muséales, la salle de référence permet un contact visuel avec le monde extérieur sur presque 360°.
Au climax de la visite de la salle de référence, le visiteur arrive à l’œuvre majeure de l’artiste, *L’Hommage à Rosa Luxemburg*. Disposée en deux hémicycles, l’immense peinture se déploie sur des surfaces courbées dimensionnées selon l’œuvre et offre des vues sur le paysage et la rivière. La lecture et la découverte de l’œuvre peuvent ensuite se faire selon la conception originale de l’artiste, les deux premières peintures du triptyque étant lues de gauche à droite et la troisième de droite à gauche.
La nordicité du projet s’exprime par un intérieur chaleureux en réponse au climat froid. Un idéal imaginaire partagé de souvenirs de pêche et de chasse à la recherche de cette autochtonie, une cabane d’été au bord de l’eau ou un refuge d’hiver dans la forêt.
Les typologies résonnent et habitent inévitablement l’imagination nordique. Le travail sur les intérieurs recrée de nouvelles atmosphères à travers des formes inhabituelles et des circulations claires qui innovent l’expérience muséale. Caractérisées par la blancheur et la chaleur du bois, les atmosphères s’inspirent de thèmes chers à Riopelle : la glace du fleuve, le fleuve et la nature.
Un troisième lieu culturel qui crée et anime la vie de l’Espace Riopelle. Le carrefour démocratise l’œuvre de l’artiste et agit comme un lien entre les acteurs de la culture, la communauté et le territoire. Composé de grands niveaux, l’espace est flexible selon la rotation désirée des tableaux et céramiques.
Une élévation qui laisse place à une terrasse surprenante, végétale et sculpturale. Partiellement couverte, la zone intermédiaire permet à la lumière naturelle d’entrer dans les espaces interconnectés du foyer et de la salle polyvalente. Ce nouveau Jardin Pellan, généreusement rendu au public, est situé au cœur des activités et offre une vue imposante.
Le projet propose un éclairage de la salle principale d’exposition. L’illumination du dessous en bois génère un effet flottant et évoque le jeu de couches et de strates de l’artiste. La double peau est éclairée à travers son épaisseur pour mettre en valeur sa forme ondulante et ses textures. Le système offre un contrôle pour moduler l’intensité et la couleur de l’éclairage afin d’en faire un moyen d’expression permettant d’animer les grandes toiles et d’en faire un lieu en mouvement.
Un généreux espace intermédiaire relie les espaces et permet l’exposition de l’immense peinture de Riopelle, *Le Bestiaire*. L’utilisation de la double hauteur (8m) permet d’inclure l’œuvre dans l’itinéraire Riopelle, ce qui n’aurait pas été possible compte tenu de la hauteur de 5m pour la salle d’exposition de référence.
Des moments pour établir un contact significatif avec les œuvres et accéder à un univers qui demande de l’attention, un rythme plus lent et de la réflexion. Une connexion entre l’art et la nature qui nous permet de faire une pause. Des ouvertures vers l’extérieur et présentant le paysage, comme des œuvres encadrées.
L’éclairage aérien évoque paradoxalement l’absence de matière. Entourée d’une zone floue de lumière, la silhouette de l’Espace Riopelle devient une empreinte au sol. Un effet visuel laissant une trace négative, presque étouffée, à l’image du travail à l’aérosol de l’artiste.
Source : Architizer.com
